Ce samedi à l’hôtel Drouot, j’ai découvert avec une certaine émotion l’extraordinaire collection de l’académicien érudit Hugues Gall, réunissant son mobilier, ses tableaux et ses objets d’art. Certaines œuvres majeures comme une sculpture de Jean-Baptiste signée Auguste Rodin, un tableau de Giovanni Boldini évoquant la sensualité d’une main féminine, un panneau de Félix Ziem représentant un paysage orientaliste avec effet de soleil couchant sur les bords du Nil ou encore la toile abstraite intitulée Effervescence signée Chu Teh-chun ont retenu mon attention. Étant amatrice d’art et de danse, je souhaitais découvrir des objets dont la cote est basse mais dont la valeur symbolique est inestimable. Je pense à ce poisson en jade du début du vingtième siècle offert par Rudolf Noureev et à une ravissante aquarelle représentant un cygne, peinte par Yvette Chauviré, danseuse étoile de l’opéra de Paris, primera balerina absoluta. À noter également, le bronze danseurs du 14 juillet signé Antoine Bourdelle. Après avoir fait plusieurs fois le tour de la salle d’exposition, feuilleté des livres sur Noureev dans le canapé de Mr Hugues Gall, je m’interroge : où est le dessin original de Verlaine représentant Rimbaud ? Le voici enfin dans une petite vitrine, il paraît minuscule car il ne mesure que 127 mm sur 98 mm. Ce petit trésor resté secret pendant 130 ans est particulièrement touchant. En griffonnant ce croquis, Verlaine nous plonge dans son intimité, un mois avant sa liaison avec Rimbaud.
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !
Arthur Rimbaud, Cahier de Douai (1870)
Une bataille d’enchères s’engage et s’envole jusqu’à 585000 €. Applaudissements dans la salle. Le commissaire-priseur Vincent Sarrou présente les lots suivants puis s’exclame ironiquement : « La salle se vide, les abat-jour motif léopard ne vous intéressent pas ? ». Certes ! le clou du spectacle est passé mais la vente n’est pas finie, j’attends le petit poisson en jade de Noureev. Estimé 500/600 € il sera vendu 1950 €. S’ensuit le Jean-Baptiste d’Auguste Rodin estimé 60000/80000 € adjugé 123500 € et pour finir le cygne d’Yvette Chauviré estimé 50/100 € s’est envolé à 910 €. La vente aura duré 4 heures.
Vincent Sarrou a déclaré : “Découvrir un trésor comme ce portrait est un rêve pour tout commissaire-priseur et nous sommes honorés et heureux d’avoir vu ce beau résultat couronner sa rareté. Sa vente à Drouot ne pouvait que marquer un moment décisif pour les collectionneurs et les amoureux de la poésie.” Pour l’expert Ambroise Audoin : “La réapparition de cette image iconique de la littérature française ne pouvait que susciter un tel engouement. Elle prouve que le mythe de Rimbaud continue de prospérer et que le marcheur “aux jambes sans rivales” n’a jamais fini son chemin.” Le voici reparti dans une collection privé : article à lire ici.
Né à Honfleur en 1940, mort à Nice le 25 mai dernier, Hugues Gall a marqué l’histoire de l’art lyrique en dirigeant le Grand Théâtre de Genève (1980-1995) et l’Opéra de Paris (1995-2004). Parallèlement à sa carrière artistique, il siégea dans de nombreuses institutions, contribuant au rayonnement de la culture. Il fut également membre de l’Académie des beaux-arts et président de la Fondation Claude-Monet à Giverny.
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