Takashi Murakami, Portrait of Pharrell and Helen Williams, 2014 (détail) |
Guy Limone, GIRL, 2014 (détail) |
Pharrell Williams pendant la conférence de presse © photographies Alice Bénusiglio |
Le coup de communication d’Emmanuel Perrotin
Ce lundi 26 mai, toute la presse était réunie dans la salle de bal de la galerie Perrotin située dans l’hôtel d’Ecquevilly, magnifique monument historique du XVIIe ayant appartenu au duc d’Ecquevilly, capitaine général de la vénerie du roi. Les journalistes étaient conviés à suivre une visite guidée de l’exposition Girl commissionnée par Pharrell Williams. Le communiqué de presse annonçait « une sélection d’artistes proches de la galerie et du musicien formant un opéra artistique où les muses se sont rassemblées pour rendre hommage aux femmes ». Tout un programme !
La
visite guidée est menée par Emmanuel Perrotin en personne et Ashok Adicéam qui
semble être le véritable curateur de l’exposition. Celui-ci a notamment été à
partir de 2008 le directeur du développement du Palazzo Grassi et à partir de
2011 le directeur de l’Institut Culturel Bernard Magrez.
Au rez-de-chaussée, les nombreux
journalistes et techniciens se pressent autour des œuvres de JR, Cindy Sherman,
Jean-Michel Othoniel, Marina Abramovic, Takashi Murakami, Guy Limone et Aya
Takano entre autres. Certains suivent les explications du galeriste, d’autres
photographient les œuvres ou interviewent les artistes à la volée comme Laurent
Grasso, fier de poser à côté de son tableau représentant Pharrell Williams en
Napoléon découvrant l’Egypte sous une comète. Cette représentation est une
commande du chanteur et sera également la pochette de son single Lost Queen.
La
visite se poursuit au sous-sol. En descendant, nous observons une photo de
Terry Richardson intitulée Eat me figurant
un morceau de femme nue qui tient une friandise en forme de cœur sur son pubis
épilé, laissant apparaître son clitoris. Sur le cœur est inscrit « Eat
me ».
Arrivés
en bas, Emmanuel Perrotin s’exclame, désabusé : « Ou sont passés les
journalistes ? Nous en avons perdu la moitié ! ». Il enchaîne en
présentant un tableau d’Alex Katz représentant une paire de fesses. Nous
passons également devant un cœur en néons de Tracey Emin dans lequel est
inscrit « Wanting You » puis devant une sculpture de Xavier Veilhan
représentant le moulage d’une jeune femme.
Les
salles se succèdent, avec pêle-mêle : un canapé et des tableaux de Marilyn
peinturlurés de Rob Pruitt, une sculpture de Daniel Arsham représentant
Pharrell Williams les mains jointes, deux autres sculptures de Chiho Aoshima,
un tableau en pâte à modeler de Gelitin, deux sculptures de Johan Creten.
L’avant-dernière salle réserve quelques bonnes surprises avec les étranges
sculptures des artistes Germaine Richier, Klara Kristalova, Bharti Kher et
Prune Nourry. Cette dernière a réalisé une sculpture hybride, Holy Daughter (standing), associant une
jeune femme et une vache sacrée dans le cadre d’un projet artistique en Inde. Au
mur, des photos de Sophie Calle, Valérie Belin, Paola Pivi, Mickalene
Thomas et Yoko Ono. Dans la dernière salle tourne la projection d’une
performance de Marina Abramovic et Ulay.
Remontée
vers la salle de bal où les journalistes et techniciens forment une foule
compacte. Tout le monde attend le dieu Pharrell pour lui poser des questions.
Emmanuel Perrotin remercie la presse et demande à celle-ci de revenir quand il
présentera des artistes moins connus. Il cherche à meubler le temps d’attente
en nous parlant d’une autre exposition Post-op
et s’interrompt d’un air dépité en lançant « je vois que ce que je raconte
n’intéresse personne ! ». Un caméraman renchérit « on attend
Pharrell ! ».
Pharrell Williams, l’heureux macho.
Le
chanteur commence l’interview en se montrant faussement modeste. Il se compare
à un étudiant ébahi qui découvrirait l’art. Pourtant il se sert de l’art pour
faire sa promotion et se montre assez mégalomane. Demander à un artiste de le
représenter en Napoléon, il fallait oser ! Dieu Pharrell l’a fait !
Il y a également cette curieuse œuvre de Daniel Arsham au titre grandiloquent The Future Pharrell représentant le chanteur comme une sorte de
gisant debout. Et enfin ce canapé ridicule de Rob Pruitt décoré par des dessins
au marqueur symbolisant l’univers bling-bling et enfantin du chanteur.
À
la question « Êtes-vous féministe ? » Pharrell Williams
répond :
« Je ne pense pas que je pourrais être
féministe, tout simplement parce que je suis un homme ! (…) Est-ce que je
soutiens leur combat ? oui ! (…) j’aime les femmes de A à Z »
Sur
le sexisme dans le clip Blurred Lines
il répond :
« Blurred Lines parle d’une femme
bien, est-ce qu’il y a des femmes bien ici ? oui ! Parfois les femmes
bien ont des pensées coquines, déplacées. Il ne faut pas que vous vous sentiez
rabaissées parce que vous avez des pensées déplacées ! »
Non
seulement il n’est pas féministe mais il semble franchement macho le dieu
Pharrell ! Une femme qui éprouverait du désir pour quelqu’un aurait des
pensées déplacées ? Pharrell Williams a-t-il des pensées déplacées quand
il couche avec sa femme ? Ne réalise-t-il pas que l’image des femmes dans
les clips de rap ou R’n’B les limite souvent à un rôle de prostituée en chaleur
ayant hâte d’assouvir la libido de ces chers messieurs ?
Et
le titre de l’album Girl ? Le
chanteur fait-il la différence entre une fille et une femme ? Le
communiqué de l’exposition nous rabâche que Pharrell Williams célèbre les
femmes. Mais le titre nous parle de filles, ce n’est pas la même chose. Une
femme serait-elle périmée ou moins désirable qu’une fille ?
Et
la pochette de l’album ? Pharrell
Williams pose en peignoir avec en arrière plan trois filles également en peignoir, aux jolis
visages plutôt sexy. Comme tous ces chanteurs lourds, il incarne le stéréotype du machiste pour vendre davantage de disques. S’il aime toutes les facettes des femmes, pourquoi
ne pose-t-il pas aussi avec des femmes artistes, intellectuelles, jeunes ou
vieilles, belles ou laides ?
L'imposture de Pharrell Williams est flagrante, entre son discours et ses réalisations il y a de sérieuses incohérences.
L'imposture de Pharrell Williams est flagrante, entre son discours et ses réalisations il y a de sérieuses incohérences.
L’idiotie des médias
Emmanuel Perrotin, en homme
d’affaire avisé, amuse la galerie, excepté lui-même dont le regard est
désenchanté. Il livre à la presse un chanteur à la mode sur un plateau
d’argent. Celle-ci toute excitée en oublie de faire son travail. Dans les jours
qui suivent le vernissage, les articles, vidéos et albums mondains prolifèrent
sur internet. Les journalistes répètent en cœur comme des moutons de Panurge
« Pharrell Williams a une nouvelle corde à son arc, il est maintenant
commissaire d’exposition, il célèbre les femmes, etc ». Les œuvres ne sont
presque pas évoquées, hormis celles où le chanteur apparaît. Le Figaro parle « d’un éblouissant
coup médiatique », Le Monde
s’attarde sur le chapeau et le postérieur de la star américaine tout en
parlant « d’exposition couillue », merci Harry Bellet, quel article de haut
niveau !
Heureusement, quelques articles
font figure d’exception : Annabelle Laurent dans 20 minutes, Pauline Weber dans le Huffington Post ou encore Sarah Moroz dans The Guardian se montrent plus critiques. Judith Benhamou dans les Echos est franchement
catégorique : « Allons droit au but. Pharrell est extrêmement mignon, il porte une force de
vie envoûtante et un sens du succès magnifique mais bien chanter et bien
choisir ses musiques ne fait pas de vous un commissaire d’expositions. Cette
exposition est, comment le dire autrement, ultra médiocre. Un méli-mélo de
sélections dans la programmation habituelle de la galerie Perrotin et de choix
conjoncturels sous le titre Girl ».
La
journaliste est sévère. Je ne pense pas que cette exposition soit médiocre mais
elle manque de consistance et de cohérence car elle n’a pas de véritable sujet.
Les femmes (ou plutôt les filles) sont un prétexte. Le racolage avec Pharrell
Williams est pesant, tout comme le battage médiatique stupide qui l’accompagne. Néanmoins,
quelques grandes figures de l’art sont représentées pour donner un peu de
crédit à cette exposition : Cindy Sherman, Marina Abramovic et Yoko Ono.
Leurs œuvres parlent d’elles-mêmes. D’autres
artistes comme Prune Nourry, Valérie Belin, Bharti Kher, Aya Takano ou Klara
Kristalova présentent également des œuvres de qualité. Ce ne sont pas les
artistes les plus connues et pourtant chacune a su développer un travail
artistique puissant et original. On
peut regretter qu’il n’y ait pas d’œuvre de Tatiana Trouvé, une autre excellente
artiste de la galerie.
Daniel Firman, Caroline, 2014 |
JR, NYC Ballet Art Séries, Paper Interactions #13, 2014 |
Cindy Sherman, Untitled #98, 1982 (détail) |
Aya Takano, Title to be determined, 2014 |
Chiho Aoshima, Kokemomo (C), 2008 |
Chiho Aoshima, Kokemomo (B), 2008 (détail) |
Daniel Arsham, The Future Pharrell, 2014 (détail) |
Johan Creten, Odore di Femmina - Soft Shell II, 2014 |
Andy Warhol, Judy Garland, 1978 |
Taryn Simon, On perception, a self portrait, 2008 (détail) |
Terry Richardson, Eat Me, 1994/98 |
Prune Nourry, Holy Daughter (Standing), 2010 |
Valérie Belin, Bride_XXXToys, 2012 |
Klara Kristalova, Deer, 2012 (détail) |
Yoko Ono, CUT PIECE, 1964 (still) Performed by the artist, Carnegie Recital Hall, New York, 1965 |
Marina Abramovic et Ulay, Rest Energy, 1980 |
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POST-SCRIPTUM
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Valérie Belin Black eyed Susan
Aya Takano, To lose is to gain
Aya Takano, From here to eternity
Klara Kristalova, Wild Thought
Klara Kristalova à NY
Remerciements à Muriel pour ses corrections précieuses
Aya Takano, To lose is to gain
Aya Takano, From here to eternity
Klara Kristalova, Wild Thought
Klara Kristalova à NY
Remerciements à Muriel pour ses corrections précieuses